Vécu de marraines bénévoles en temps de confinement

Vécu de marraines bénévoles en temps de confinement

écrit le 05.06.2020

Par Carla Vaucher, doctorante en anthropologie médicale et de la santé à l’Université de Lausanne

Une cinquantaine de « marraines »[1] bénévoles se relayent habituellement auprès des enfants lors de leur bilan initial de santé dans les hôpitaux régionaux, pendant leur hospitalisation, ou encore lors de consultations ambulatoires dans les hôpitaux universitaires.

Les marraines, qui accompagnent les enfants à différentes étapes de leur trajectoire médicale, occupent de nombreuses fonctions auprès des enfants, en soutien au personnel soignant, à l’équipe éducative de Massongex, ou encore à l’équipe administrative du siège de la fondation Terre des hommes à Lausanne. En effet, leur rôle ne peut être réduit à de simples visites d’enfants, ni à une « câlinothérapie » -terme utilisé par une marraine au fil de mes observations en milieu hospitalier- bien qu’il ne faille pas négliger cette part affective de leur activité, très importante pour des enfants qui manquent parfois de tendresse en lien avec l’absence de leur famille. Elles sont des personnes de référence et de confiance pour les enfants pris en charge par le programme. Elles leur apportent soutien et réconfort pendant des soins ou examens désagréables, leur tiennent compagnie et leur proposent des activités pendant des journées parfois ennuyeuses aux yeux des enfants. Mais elles assurent également un rôle de coordination et de médiation : entre les enfants et les soignants, en transmettant ou en répétant des informations aux enfants, le vécu ou les activités des enfants au siège de la fondation, qui les relaie ensuite à La Maison de Massongex, ainsi qu’aux délégations dans les pays partenaires du programme, qui les transmet finalement aux familles des enfants.

Marraine bénévole enfant
En temps normal, les marraines bénévoles rendent visite aux enfants lors de leurs séjours dans les hôpitaux.

Au cœur de cette période particulière que nous vivons, les mesures qui ont été prises concernant la suspension des voyages d’enfants et les inquiétudes qui les accompagnent peuvent nous faire oublier de nous intéresser au vécu de ces bénévoles multifonctions. J’ai donc décidé de m’intéresser à la manière dont les marraines vivaient cette situation, en sondant leurs échanges sur un groupe WhatsApp, ainsi qu’en récoltant quelques témoignages par e-mail et par téléphone.

La suspension des transferts médicaux d’enfants par le programme de soins spécialisés de Terre des hommes a entraîné, dès le 10 mars dernier, l’interdiction des visites aux enfants hospitalisés. Les marraines ont été informées de cette décision par le biais de chaînes d’e-mails et de groupes WhatsApp, qui servent habituellement à la coordination des visites. Dans un premier temps, elles se sont montrées compréhensives face à la nouvelle, ignorant, comme tout un chacun, que les mesures devraient se prolonger si longtemps. L’une des marraines, qui se rend habituellement auprès des enfants hospitalisés aux HUG, réagit en écrivant sur un groupe WhatsApp : « Triste pour les enfants, car pour eux, notre présence est une petite bouffée d’oxygène dans leur quotidien. Espérons que nous pourrons reprendre bientôt nos activités ».

Malgré leurs inquiétudes quant à l’état de santé des enfants et à leur isolement potentiel, elles ont également fait preuve de compréhension face aux mesures prises, comme une marraine l’exprime sur un groupe de discussion : « Ces petits enfants sont très fragiles, au vu de leurs pathologies, alors il est normal d’être très prudents, de ne pas prendre de risques ». De plus, celles qui ont eu l’occasion de se rendre auprès des enfants pendant la phase incertaine du début de crise se sont parfois senties angoissées de circuler au sein des hôpitaux, malgré les précautions en vigueur (distanciation, port de masques et désinfection des mains).

Bénévolat
Les marraines accompagnent les enfants au quotidien lorsqu’ils séjournent dans les hôpitaux pour y recevoir des soins.

Au fur et à mesure des jours qui passent et du prolongement de la situation, le manque de nouvelles des enfants se fait ressentir, pour ces personnes qui ont l’habitude de côtoyer les mêmes enfants plusieurs semaines de suite. Une dizaine de jours après la suspension des visites, le silence étant tombé sur le groupe Whatsapp habituellement très actif, une marraine demande : « Si vous avez des nouvelles des enfants, pourriez-vous malgré tout nous les communiquer ? ». Du fait de l’absence des parents des enfants et des besoins socio-affectifs importants des enfants hospitalisés, une relation privilégiée ainsi que des liens d’attachement forts peuvent se créer entre les enfants et les marraines qui leur rendent visite. Ces visites et ces liens ont été interrompus de manière abrupte en lien avec la situation de pandémie.

Indépendamment des chamboulements que ces personnes connaissent dans leur quotidien et les craintes qui peuvent en découler, il semble important de rappeler que pour les bénévoles qui s’engagent pour Terre des hommes, une partie d’entre elles étant retraitées, leur engagement auprès de ces enfants constitue une activité qui rythme leurs semaines, emplissant une part importante de leurs journées et de leurs pensées. Certaines personnes s’investissant par ailleurs auprès de ces enfants depuis de nombreuses années, elles se trouvent alors non seulement partiellement désœuvrées, mais également touchées émotionnellement par le fait de ne pas pouvoir voir les enfants, et de les savoir seuls à l’hôpital, dans les premiers temps des mesures, avant que les enfants ne rentrent tous à Massongex ou en familles d’accueil. Une marraine témoigne : « C’est réellement un manque ressenti au fil des jours de ne plus avoir de contacts avec les enfants de Terre des hommes. Ne plus pouvoir les cajoler et jouer avec eux est frustrant ».

De plus, pour un certain nombre d’entre elles, la suspension de leurs activités bénévoles auprès de Terre des hommes leur fait éprouver un sentiment de culpabilité, de ne pas pouvoir aider dans cette situation, et d’inutilité, comme en témoigne cette marraine : « J’ai ce sentiment de ne servir à rien. Je me sens inutile alors que d’habitude je me sens utile ».

Au fil du temps qui passe, la solidarité se met en place petit à petit, avec des prises de nouvelles régulières entre marraines : « Bonjour à tous, petit mot de passage en espérant que tout le monde va bien ! A très vite ». De plus, dès le mois d’avril, des photos et vidéos des enfants qui résident temporairement à La Maison de Massongex sont relayées sur le groupe, ce qui est reçu avec une grande joie de la part des bénévoles, entraînant des réactions à la chaîne : « Que du bonheur ! Merci infiniment ! Cela compense un peu le manque… » ; « oooh ça fait chaud au cœur ! » ; « oooh, mais comme ça me touche ! ». Cette transmission de nouvelles concernant les enfants est considérée comme une bonne initiative et comme une « manière d’intégrer les marraines à l’équipe de Terre des hommes », selon l’une des marraines.

Les marraines se montrent rassurées de savoir que tous les enfants actuellement en Suisse sont « en sécurité », soit à La Maison de Massongex, soit en familles d’accueil. Pourtant, malgré ces nouvelles qui leur mettent du baume au coeur, plusieurs marraines se réjouissent que cette situation prenne fin: « Je serais vraiment ravie quand ils pourront retourner au pays », témoigne l’une d’entre elles.

Une inquiétude supplémentaire concerne les enfants en attente de transfert, dans différents pays d’Afrique de l’Ouest : « Les enfants qui devraient arriver, qui sont malades, qui souffrent, quel sera leur devenir ? ».

Finalement, début mai, de nouvelles idées et envies se mettent en place, à la fois afin de se sentir utiles, et de pouvoir combler le manque de contacts avec les enfants. Certaines marraines trient des habits qu’elles souhaitent pouvoir amener à Massongex, et éventuellement « voir les enfants de loin en passant », d’autres se demandent s’il serait possible d’organiser une petite visite à La Maison. Toutes se réjouissent de pouvoir retrouver les enfants connus ou de faire la connaissance de nouveaux enfants une fois la situation rétablie.


[1] Le terme de « marraine » est privilégié dans ce texte car il existe un seul « parrain » Terre des hommes actuellement. Ce dernier est bien sûr tout aussi concerné par la situation décrite ici.