Le regard d’une anthropologue
écrit le 01.03.2019Parents d’enfants : Carla Vaucher leur donne la parole
Ce premier volet de scènes de vie des soins spécialisés porte sur la manière dont des parents d’enfants originaires du Bénin racontent la maladie de leur enfant, notamment au travers des nombreuses démarches qui ont conduit au diagnostic de cardiopathie et à leur orientation vers Terre des hommes.
Carla Vaucher nous ouvre son carnet de recherche
Carla Vaucher est doctorante en anthropologie médicale et de la santé à l’Université de Lausanne depuis septembre 2017. Elle a travaillé pendant plusieurs années sur des questions reliant sciences sociales et santé, notamment en lien avec la communication en milieu médical et hospitalier et l’expérience de personnes souffrant de douleurs et de maladies chroniques.
Sa thèse de doctorat, en cours, porte sur le vécu d’enfants souffrant de cardiopathies dans le cadre de leur prise en charge par le programme « Voyage vers la vie », volet du programme de soins spécialisés de la Fondation Terre des hommes Lausanne. Cette recherche s’intéresse notamment à la manière dont les enfants vivent, comprennent leur maladie et leur(s) opération(s), et communiquent à ce sujet avec les différent·e·s acteurs et actrices du programme humanitaire. Pour ce faire, elle réalise des observations et des entretiens à toutes les étapes de leur prise en charge au Bénin et au Togo. En Suisse, les observations sont menées principalement dans les hôpitaux, à l’aéroport de Genève et à La Maison de Terre des hommes à Massongex.
Un parcours long et éprouvant
Carla Vaucher, il vous semble nécessaire de ne pas restreindre votre recherche aux discours des enfants uniquement, mais d’intégrer les perspectives de toutes les personnes qui les accompagnent à un moment ou l’autre de leur trajectoire de soins. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Considérant que les maladies, notamment quand elles sont chroniques, mobilisent une diversité d’acteurs et actrices autour d’une même trajectoire individuelle, je pense qu’il est nécessaire de s’intéresser aux différentes sphères et aux différents groupes de personnes qui entrent en ligne de compte dans la maladie de ces enfants. L’itinéraire thérapeutique des familles, avant d’être orientées vers la fondation Terre des hommes, fait partie intégrante de l’expérience des enfants bénéficiant du programme. Afin d’appréhender au mieux le vécu de ces enfants, il m’importe de pouvoir articuler l’historique et la trajectoire de leur maladie, le contexte culturel, social et familial dans lequel ils évoluent, ainsi que le parcours de soins familial, comprenant les différentes démarches entreprises par les membres de la famille autour de la maladie de l’enfant.
Quelles observations et témoignages avez-vous recueillis auprès des parents au Bénin ?
A travers l’examen de dossiers constitués par les assistant·e·s sociaux·ales du programme des soins spécialisés ainsi que d’observations et d’entretiens réalisés auprès de parents avant, pendant et après la prise en charge de leur enfant en Suisse, j’ai pu constater que pour la majorité des familles, le programme « Voyage vers la vie » de Terre des hommes semble constituer une solution de dernier recours, après un itinéraire de soins déjà long et éprouvant. Ces itinéraires sont généralement marqués par de nombreuses consultations auprès de différent·e·s thérapeutes et médecins, l’aiguillage progressif vers des spécialistes de cardiologie, puis l’orientation vers la fondation Terre des hommes, début d’un nouveau voyage, comprenant également son lot de formalités et de préoccupations.
Chaque récit de maladie débute par le constat des premiers signes d’une anomalie. Une mère, dont le premier enfant a été pris en charge et opéré en 2017, raconte : « Trois semaines après sa naissance, j’ai constaté qu’il ne grandissait pas. Il toussait beaucoup et il avait le rhume aussi. On sentait qu’il n’était pas à l’aise, en lui-même. Et il ne grandissait pas, il ne grandissait pas ! Et mon entourage, surtout ma belle-famille, m’interrogeait tout le temps. » Une fois un premier repérage effectué par des médecins de famille, des pédiatres ou des tradi-thérapeutes, les familles sont orientées vers des spécialistes en cardiologie. C’est généralement à ce moment-là que le diagnostic est confirmé, suivi rapidement par l’annonce de la possibilité d’une prise en charge chirurgicale à l’étranger, comme en témoignent les propos de la mère d’une petite fille de huit mois, une semaine avant son départ : « ils nous ont dit que c’était un trou au niveau du cœur, et qu’il fallait évacuer l’enfant, puisqu’eux ils ne sont pas en mesure de prendre soin de ça ici ». Les parents sont alors généralement adressés à la fondation Terre des hommes par les médecins spécialistes, mais il peut également arriver qu’ils entendent parler de cette opportunité par le bouche à oreilles, le programme étant de plus en plus connu à travers le pays.
A l’annonce du diagnostic, certains parents hésitent à faire prendre en charge leur enfant, pourquoi ?
Dans un premier temps, les parents oscillent parfois entre une prise en charge médicale et le recours à des pratiques thérapeutiques traditionnelles. Ces hésitations quant à la prise en charge de l’enfant peuvent être liées à des questionnements quant à l’origine de la maladie, comme l’exprime le père de cette même petite fille de huit mois : « on se posait tellement de questions, mais on se disait aussi, on a suivi, on a respecté tout ce qu’il fallait faire, les échographies, tout et tout, jusqu’à l’accouchement, on a tout respecté… Pourquoi nous qui avons tout respecté, pourquoi c’est à nous que ça arrive ? »
L’annonce du diagnostic est toujours un moment très chargé en émotions pour les parents et leur entourage proche. Le choc provoqué par l’annonce d’une maladie nécessitant une intervention chirurgicale est alors couplé à la conscience qu’une prise en charge à l’étranger dans le cadre de ce programme nécessite une séparation de quelques semaines à quelques mois. Ces différentes annonces peuvent avoir pour effet de retarder davantage la procédure. En effet, les parents ont souvent besoin de temps pour se décider, et tardent parfois à fournir les pièces justificatives dont les assistant·e·s sociaux·ales du programme ont besoin pour constituer un dossier. Cela prendra encore un certain temps avant que le dossier ne soit accepté par le siège de la fondation à Lausanne, et que l’enfant puisse effectivement être pris en charge.
Quelles sont les difficultés rencontrées par les parents ?
Les différentes étapes franchies par les familles impliquent de nombreuses démarches administratives, beaucoup de temps ainsi que des dépenses conséquentes pour le foyer, comme l’exprime la mère d’une enfant de dix ans, en Suisse au moment de notre entretien : « Pour ma fille, eh ! J’ai trop dépensé ! Les analyses, les démarches, les autorisations, la mairie, ah ! ». Les familles peuvent parfois se retrouver doublement démunies, à la fois financièrement et socialement, passant une partie importante de leur temps à entreprendre des démarches administratives ou à accompagner leur enfant à l’hôpital ou à des consultations. L’équilibre du foyer, ainsi que du couple, peut alors être difficile à maintenir, toute l’attention et l’énergie étant dirigées vers l’enfant malade, parfois au détriment des autres enfants de la fratrie et/ou des obligations professionnelles des parents. Un jeune père raconte : « Quand il y a une maladie, surtout quand ça arrive à un enfant, ça casse un peu l’ambiance. Parce que au début, ma femme vivait avec moi. Avec la maladie, elle a dû retourner chez ses parents, pour que sa mère puisse l’aider. Ça fait que bon, le couple, si on peut dire, on l’a oublié, c’est comme si on était devenus frère et sœur. » Dans une prochain édition, nous verrons de quelle façon l’association béninoise destinée aux familles d’ancien·ne·s bénéficiaires du programme « Voyage vers la vie » offre un soutien social et moral aux parents avant et pendant la prise en charge de leur enfant.