Mission à Dakar: une entraide internationale symbole d’espoir
écrit le 30.03.2022Mélanie Casanova est infirmière à La Maison et le Dr Mirko Dolci, Chef du secteur pédiatrie du service d’anesthésiologie du CHUV. Tous deux ont fait partie en novembre dernier, avec le Dr Tornike Sologashvili, Chef de Clinique au service de chirurgie cardio-vasculaire, d’une des missions chirurgicales du CHUV chapeautée par la Pre Nicole Sekarski, Médecin Cheffe en cardiologie pédiatrique et responsable de la mission. Chacun en retire une expérience et une aventure humaine uniques, reprenant le flambeau qui brûle depuis 2011 et qui permet à la chirurgie cardiaque de pointe suisse de s’exporter au Sénégal, perpétuant ainsi la tradition humanitaire engagée de l’hôpital lausannois.
Les missions de chirurgie cardiaque pédiatrique du CHUV à Dakar ont normalement lieu deux fois par année. Les deux éditions de 2020 ont dû être annulées en raison de la pandémie de Covid-19. L’équipe avait prévu de s’y rendre en juin 2021, mais quelques semaines avant son départ, alors que le matériel avait déjà été envoyé de Suisse, l’unité où se déroule la mission a connu plusieurs cas d’infections dues à des bactéries résistantes à de nombreux antibiotiques. L’efficacité des mesures prises par l’établissement sénégalais a permis une réouverture progressive. Néanmoins, la mission de juin 2021 a été repoussée à fin novembre 2021.
Pour les équipes suisses se rendant sur place 2 ans après leur dernière visite, l’enthousiasme et l’appréhension étaient au rendez-vous. L’équipe du centre médical Cuomo de Dakar serait-elle la même que lors de leur dernière venue ? La pandémie allait-elle avoir des répercussions sur le succès de cette mission ? Après plus de dix années d’entraide sous la forme de missions chirurgicales et de formations continues, les progrès dans la prise en charge des enfants malades avaient été exponentiels. Malgré la pandémie, la collaboration, l’entraide et l’espoir se devaient de continuer d’exister. La mission chirurgicale, portée par les institutions en Suisse et les partenaires, devait tenir bon pour ces enfants dont la santé était gravement compromise.
Cette entraide internationale est le symbole de l’espoir pour les enfants malades et leur famille. Elle témoigne d’une confiance ; celle des parents, celle des enfants, mais également celle des équipes médicales locales ; elle génère une profonde reconnaissance. Pour les médecins qui participent à ces missions, il s’agit là d’un devoir, celui de sauver des vies.
Retour sur la mission. Entretien avec le Dr Mirko Dolci
Le Dr Mirko Dolci, chef de secteur Pédiatrie du service d’anesthésiologie, s’occupe de tous les enfants de 0 à 16 ans dépendant soit du service de Chirurgie Pédiatrique, soit d’autres services chirurgicaux. Il se charge également de l’anesthésie des patients, adultes et enfants, traités au Centre des Brûlés du CHUV.
Aujourd’hui, les progrès de la médecine offrent de grandes perspectives aux enfants atteints d’une malformation cardiaque sévère. A quand cette réalité pour les petits Sénégalais?
Dr Mirko Dolci : Bien difficile d’y répondre ; le plus vite possible j’espère… A mon avis, l’essentiel est vraiment que tous puissent être diagnostiqués, puis bénéficier des meilleurs soins (et pas seulement, comme maintenant, ceux qui ont eu la chance d’être référés à un cardiologue ou à une organisation telle que Terre des hommes). Finalement, peu importe, si pendant un certain nombre d’années encore, certains ne seront pas opérés sur place par des chirurgiens sénégalais, mais par des chirurgiens étrangers, voire même seront transférés en Europe. Du moment qu’il y a une possibilité de traitement…
Mais la tâche est énorme, et au-delà du Sénégal, les mêmes conditions devraient s’appliquer au reste de l’Afrique de l’Ouest, voire à toute l’Afrique… et au monde entier.
La crise sanitaire constitue une vraie menace pour le respect des droits des enfants qui peuvent se retrouver dans une situation de vulnérabilité particulière. Aujourd’hui, avec la pandémie, le risque d’un effondrement des acquis dans le domaine des soins pédiatriques guette les pays en voie de développement, quelle est la situation au Sénégal ?
Dr Mirko Dolci : C’est une crainte en effet. Maintenant, ce que nous avons pu voir après deux ans d’absence, et pratiquement autant de pandémie, est très rassurant. Mais bien sûr tout dépendra de l’évolution de cette dernière…
La crise du coronavirus révèle la nécessité d’avoir des systèmes sanitaires solides avec des services de santé de qualité. Combien d’enfants, avec des besoins spéciaux, comme de la chirurgie cardiaque, ont été opérés au Sénégal durant la mission?
Dr Mirko Dolci : Dix enfants opérés ! En fait, nous avions dans un premier temps tablé sur six enfants, ne sachant pas ce qui serait réalisable à la sortie des différentes vagues de Covid-19. La quantité de matériel avait été calculée en conséquence, avec toujours une petite marge en cas d’imprévu. Comme tout s’est bien déroulé, et grâce aussi au surplus de matériel laissé sur place lors des précédentes missions, nous avons pu monter à dix enfants opérés durant les cinq journées opératoires prévues, ce qui est la capacité maximale d’accueil de la structure.
Lors des consultations médicales durant la mission, certains enfants sont réorientés vers un transfert en Suisse pour une opération avec un séjour à La Maison. Qu’en est-il de cette option vitale avec la crise sanitaire actuelle?
Dr Mirko Dolci : Cette option existe toujours, bien sûr. Maintenant il est sûr que, pendant certaines périodes de la pandémie, les hôpitaux suisses ont dû limiter, voire suspendre transitoirement, l’accueil de patients venant de l’étranger (qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes). Il faut donc s’attendre à des délais plus longs entre la première consultation de l’enfant dans son pays et son opération en Suisse, mais ces transferts continuent à s’organiser.
Dans l’édition de juin 2021 du journal de La Maison qui présentait la mission, vous aviez mentionné que celle-ci ne se ferait pas si elle compromettait la qualité des soins en Suisse. Est-ce que, par rapport au Covid-19, votre absence s’est fait ressentir ici en Suisse?
Dr Mirko Dolci : La mission s’est déroulée fin novembre-début décembre 2021, soit avant la vague liée au variant Omicron et la surcharge des hôpitaux qu’elle a engendrée. Nous sommes donc partis dans une période plutôt « calme », du point de vue de la pandémie, donc pas d’impact sur les soins en Suisse. Par contre, dès le début de la vague Omicron, comme les spécialistes anticipaient un impact majeur sur le système hospitalier, le CHUV a demandé à ses collaborateurs d’annuler tous les déplacements à l’étranger pour motif professionnel. Si la mission avait été prévue en janvier-février 2022, elle aurait sans doute dû être reportée.
Quels sont les principaux défis liés à la formation des équipes locales?
Dr Mirko Dolci : La pandémie de Covid-19, avec ses différentes vagues, a aussi contraint le système de santé sénégalais à s’adapter. Nous avons su, par exemple, que le service de soins intensifs de pédiatrie, qui accueille les enfants opérés pendant nos missions, a dû, pendant un certain temps, accueillir des adultes gravement atteints par le Covid-19. Certaines personnes spécialisées en pédiatrie ont dû aller prêter main forte dans d’autres services. Tout ça est bien normal en temps de pandémie. Notre crainte était de ne pas retrouver les équipes que nous avions connues, elles qui avaient, en quelques années, fait de spectaculaires progrès en termes de compétences, d’organisation, de formation continue. Heureusement, il n’en était rien: tout le monde a pu rejoindre ses unités, qui fonctionnent de nouveau comme avant la pandémie.
Grâce à ces missions, quelles améliorations de la prise en charge au Sénégal remarquez-vous aujourd’hui ?
Dr Mirko Dolci : Indéniablement, par rapport aux toutes premières missions, la qualité globale des soins s’améliore constamment. Mais ce serait prétentieux de penser que ces améliorations soient le fruit de nos seules missions.
Il y a la formation de base des personnes sur place, leur formation continue, leurs stages de perfectionnement (souvent à l’étranger), l’enseignement par d’autres missions se rendant sur place…mais avant tout leur professionnalisme et leur souci de toujours s’améliorer. Nous avons tout au plus un rôle de facilitateur.
Un temps fort et des anecdotes de la mission à partager avec le lecteur ?
Dr Mirko Dolci : Les anecdotes ? Comme tous ceux qui voyagent en ce moment : les contraintes liées au Covid-19, aux certificats (que certains reconnaissent, d’autres pas), aux tests PCR (qui sont exigés, puis plus, puis finalement de nouveau…), aux formulaires électroniques d’entrée dans différents pays (même pour une heure de transit à Bruxelles), etc. Il a fallu faire preuve de beaucoup de résilience. Mais la mission a pu avoir lieu comme prévu, c’est l’essentiel.
Un temps fort ? Comme chaque fois…les interventions se terminent le vendredi, et nous prenons l’avion samedi soir pour rentrer, alors que certains patients sont toujours en surveillance aux soins intensifs. Un autre temps fort, c’est quand nos collègues sur place nous appellent, quelques jours plus tard, pour nous dire que tous les enfants vont bien et qu’ils ont pu rentrer à domicile. Mission accomplie!
Comment jugeriez-vous de l’intensité de cette mission?
Dr Mirko Dolci : Très intense… comme d’habitude. Mais surtout une grande satisfaction de pouvoir enfin recommencer cette activité après deux ans de pause, avec le soutien de nos institutions respectives et de tous nos partenaires.
Mélanie Casanova, infirmière à La Maison au cœur de la mission chirurgicale
Quand elle a accepté d’effectuer cette mission chirurgicale, Mélanie Casanova savait que les conditions seraient difficiles. Ravie de s’être confrontée à ce défi, elle ose imaginer que sa contribution a été bénéfique et appréciée. L’infirmière de La Maison réalise la chance de chacun de bénéficier d’infrastructures médicales de qualité en Suisse. Loin de s’en tenir à ce bilan, connu de beaucoup, elle revient de cette expérience éprouvante avec la grande satisfaction d’avoir contribué, grâce à son expérience en soins intensifs de pédiatrie acquise au CHUV, à sauver la vie de dix enfants.
Comment s’est passé le contact avec les enfants opérés dans le cadre de la mission?
Mélanie Casanova: J’ai eu des petits échanges avec les enfants. On leur expliquait qu’on pouvait les assister et qu’on était là pour eux. Parfois, on avait droit à un sourire. Ils étaient un peu intimidés par notre couleur de peau et le fait qu’on ne parle pas leur langue.
Quelles impressions sur les infrastructures ?
Mélanie Casanova : Quand je vois les infrastructures au Sénégal, je me dis qu’on a vraiment beaucoup de chance ici en Suisse. Bien que le centre ait été construit récemment et bénéficie d’équipements modernes, le problème réside plutôt dans l’entretien de ceux-ci. Lorsqu’ils tombent en panne, ça peut prendre beaucoup de temps pour qu’ils soient réparés. Souvent, le matériel doit être envoyé aux Etats-Unis ou en Europe parce qu’il n’y a pas de technicien sur place. Le matériel de soin est aussi en quantité restreinte. Un exemple : dans les soins intensifs d’un hôpital suisse, les draps de lits sont changés tous les jours. Au Sénégal, ça n’était pas possible de changer les draps tous les jours parce que le Centre n’en avait pas suffisamment à disposition. Ce sont des points comme cela qui s’observent et qui révèlent l’opulence dont on bénéficie en Suisse et, plus généralement, en Europe.
Comment s’est passée cette expérience pour vous en tant qu’infirmière de La Maison ?
Mélanie Casanova : C’était très différent de mon travail à La Maison. Mais ce qui était intéressant, c’est que j’avais deux casquettes, celle d’infirmière qui participait à la mission et aussi celle de représentante de La Maison sur place. Les gens me reconnaissaient aussi à travers mon rôle pour les enfants au sein de la fondation et ça m’a beaucoup émue.
Un mot pour résumer votre expérience à Dakar ?
Mélanie Casanova : Je dirais sans hésiter « le cœur ». C’est une aventure du cœur, parce que c’est de la médecine cardiaque et que celle-ci est profondément humaine. Tout le monde y met son cœur, l’équipe de la mission, mais aussi les collaborateurs sur place. C’est plus qu’une relation professionnelle et d’apprentissage, il y a beaucoup de bienveillance entre nous tous. On est comme une petite famille et on a noué des liens très forts avec certains. Une jeune infirmière sénégalaise avec laquelle je me suis très bien entendue m’a même dit que, si un jour elle avait une deuxième fille, elle la prénommerait Mélanie. On a gardé des contacts, et j’espère avoir l’occasion d’y retourner et la revoir un jour.
Avant d’être infirmière à La Maison, vous aviez acquis une très grande expérience aux soins intensifs de pédiatrie du CHUV. Ce retour « aux sources » lors d’une mission chirurgicale, comment s’est-il déroulé ?
Mélanie Casanova : J’étais stressée et tendue au début. J’avais fait un travail de préparation en vue de la mission et tout s’est très bien passé. J’ai très vite été dans le bain et opérationnelle. Je me suis surprise en bien et l’équipe était aussi très impressionnée de la facilité avec laquelle je retrouvais les réflexes dans cet environnement si spécifique. Toute l’équipe a été très bienveillante avec moi.
Des imprévus ?
Mélanie Casanova : Il y a beaucoup de bouche à oreille dans la région avant l’arrivée d’une mission et beaucoup de familles font circuler l’information de cette venue. La Pre Nicole Sekarski, cardiologue pédiatrique, a effectué beaucoup plus de consultations que prévues parce que les parents qui savaient que la mission était là, venaient et attendaient qu’elle consulte leur enfant.
Un temps fort et des anecdotes de la mission à partager avec le lecteur ?
Mélanie Casanova : J’ai pu me rendre au bureau de Terre des hommes à Dakar pour revoir Fageye Mbaye, ancienne bénéficiaire du programme soins spécialisés, et aujourd’hui assistante du même programme. Fageye était revenue en Suisse en 2019 pour des soins particuliers que le système de santé sénégalais n’offre pas, et nous avait rendu visite à La Maison. C’était très chouette de la revoir. Cette femme prend son implication pour les enfants très à cœur. Elle m’a présenté les lieux, expliqué comment se passent les rencontres avec les familles et le suivi des enfants lorsqu’ils reviennent de Suisse. J’ai également échangé avec le chauffeur de la délégation. Son histoire m’a beaucoup touchée. Il a perdu sa fille à l’âge de 18 mois qui souffrait d’une malformation cardiaque. Il était entré en contact avec Terre des hommes à l’époque mais, malheureusement, c’était déjà trop tard ; une opération n’aurait pas pu sauver son enfant. Après sa rencontre avec la délégation pour trouver de l’aide, il était déterminé à travailler pour Terre des hommes et, à sa façon, aider des familles qui traversent ces mêmes épreuves. C’était émouvant de voir ces collègues du Sénégal, si engagés pour tous ces enfants.
Regards croisés Mirko Dolci et Mélanie Casanova
Atteints d’une pathologie cardiaque, des enfants peuvent être sauvés par un transfert vers la Suisse ou une prise en charge par une mission chirurgicale. Ces solutions redonnent l’espoir à ceux qui sont confrontés à ce diagnostic. Cette chance offerte est parfois la seule issue à un destin qui se joue entre les mains de la science et de l’expertise d’une équipe. Parfois, il n’existe aucune possibilité de traitement. Entre espoir et désespoir, autour d’un cœur, une rencontre humaine.
Avez-vous rencontré des parents d’enfants ? Comment avez-vous ressenti leur espoir ? Leur confiance ?
Dr Mirko Dolci : J’imagine que pendant des mois, voire des années, il a été dit à ces parents que leur enfant avait un problème de santé, mais que rien ne pouvait être fait pour le soigner (par manque de spécialistes, de structure, de moyens financiers…). D’apprendre que, grâce à des missions chirurgicales comme la nôtre, il est possible de faire quelque chose, c’est un énorme espoir qui renaît. Enfin entrevoir la guérison ! Leur confiance est totale et leur reconnaissance après l’opération est émouvante… alors que nous n’avons rien fait d’autre que notre travail. Maintenant, nous voyons aussi des enfants dont la pathologie -malheureusement- est trop complexe, et pour laquelle il n’y a aucune possibilité de traitement. Pour ces derniers et leurs parents, c’est l’ultime espoir qui s’éteint.
Mélanie Casanova : La veille des premières opérations, j’ai rencontré les familles des deux enfants qui allaient être opérés le lundi. Ce sont surtout les mamans qui accompagnaient leur enfant. Très peu d’entre elles parlaient le français, donc je me reposais sur l’équipe médicale locale pour traduire mes propos. Et je les ai vues encore les jours suivants pendant les heures de visite. Quand nous n’étions pas dans le centre mais à l’extérieur, les familles nous repéraient et venaient nous trouver pour nous demander comment allait leur enfant. Elles ont un rapport au corps médical qui est très hiérarchisé. Elles posent très peu de questions, écoutent attentivement les médecins et le corps médical.
Comment s’est passé l’échange avec les équipes locales ? Quel accueil vous avait-on réservé ?
Dr Mirko Dolci : Un accueil toujours aussi chaleureux. Pour ceux qui ont participé aux éditions précédentes, c’est le sentiment de se retrouver dans un environnement familier, avec des collègues de longue date. Nous avions quelques craintes, après deux ans d’interruption…mais tout s’est passé comme si nous nous étions quittés il y a à peine quelques semaines.
Mélanie Casanova : L’équipe locale avait beaucoup d’attentes, ils étaient très preneurs du partage de connaissances. On ne ressentait pas de hiérarchie, il y avait une très bonne dynamique entre nous, de la mission, et l’équipe médicale locale.