Mission à Dakar: la chirurgie cardiaque romande en mission

Mission à Dakar: la chirurgie cardiaque romande en mission

écrit le 30.06.2021

Notre attention est focalisée sur cette crise sanitaire qui impacte nos vies. Cette pandémie met à mal l’économie des pays avancés et menace de dévaster les régions moins développées du monde, comme l’Afrique subsaharienne, où les soins de santé de tous types sont parmi les plus dépourvus du monde. Cette vaste région affronte d’énormes défis pour satisfaire des besoins vitaux élémentaires (nutrition, soins, eau potable, …). D’énormes efforts sont déployés pour y faire face, notamment dans le domaine de la santé. A l’instar de ce qui se fait pour d’autres types d’intervention, dans d’autres pays, les missions humanitaires du CHUV et de Terre des hommes permettent, depuis 2011, à la chirurgie cardiaque de pointe suisse de s’exporter au Sénégal.  

Ndlr: En raison de mesures sanitaires, la mission prévue en juin 2021 est reportée à l’automne 2021.

Opérer dans des conditions différentes

Pour mener à bien ce type de mission, l’équipe apporte une grande partie de son matériel depuis la Suisse. Les enfants qui seront opérés ont été identifiés à l’avance et sont déjà sur place à l’arrivée des spécialistes suisses. Ils peuvent donc, en une semaine, opérer de nombreux enfants. L’enseignement fait aussi partie des objectifs ; ces missions améliorent les compétences professionnelles des équipes locales qui les assistent. Le Docteur Mirko Dolci est chef du secteur pédiatrie du service d’anesthésiologie du CHUV. Quotidiennement, il se consacre au soulagement de la douleur et aux soins globaux de l’enfant qui doit subir une opération chirurgicale. Il est également l’une des chevilles ouvrières de ces missions humanitaires au Sénégal, mais également au Bénin, qui réunissent les compétences spécifiques de médecins, de chirurgiens et d’infirmières. Une mission humanitaire implique que l’équipe accepte de travailler dans des conditions différentes de celles de la Suisse. Les questions logistiques, d’approvisionnement et d’organisation poussent chacun à sortir de son rôle habituel. Le Dr Dolci nous dévoile la générosité professionnelle, la compétence médicale et la conscience morale collective pour préparer et réaliser une mission humanitaire, entretien.

Chirurgie, mission à Dakar
Dans les coulisses d’une opération au Centre Cuomo à Dakar

Dans le cadre de son programme soins spécialisés, qui permet à des enfants démunis souffrant notamment de malformations du cœur d’être transférés en Europe pour qu’ils puissent y être opérés et soignés, Terre des hommes et le CHUV organisent chaque année des missions chirurgicales au Bénin et au Sénégal. Historiquement ces missions ont été mises sur pied par la fondation Terre des hommes à Lausanne, le CHUV et les hôpitaux sur place.

Interview avec le Dr Mirko Dolci

Dr Mirko Dolci, mission chirurgicale Dakar
Dr Mirko Dolci

Où et quand aura lieu la prochaine mission du CHUV et de Terre des hommes ?

Il s’agira de la 16ème mission de ce type. Elle aura lieu au Centre Cardio-Pédiatrique Cuomo situé au sein du Centre Hospitalier National Universitaire de Fann à Dakar. Ce centre, conçu par la Chaîne de l’Espoir et financé par la fondation Cuomo, a été inauguré en 2017. Les dates des missions sont choisies par la Pre Sekarski, médecin cheffe de l’Unité de cardiologie pédiatrique du CHUV. Elles sont fixées à l’avance afin de ne pas se chevaucher avec d’autres missions, canadiennes ou françaises, qui se rendent aussi régulièrement au centre Cuomo de Dakar.

Mesurez-vous un progrès dans la qualité des soins au Sénégal ?

Le centre Cuomo offre ce qu’il y a de mieux au Sénégal et dans la sous-région. Il impressionne par la qualité de ses équipements, de son accueil, mais aussi par l’état impeccable des bâtiments ; nous avons à faire au même standard qu’en Suisse. Les soins cardio-pédiatriques sont aux normes internationales les plus à jour.  De grand progrès ont été faits. Avant le centre Cuomo, nous travaillions dans un bâtiment plus vétuste (qui a été entretemps rénové). Je me souviens que, lors des premières missions, plusieurs équipements n’étaient plus en état de fonctionner. Les coupures d’électricité étaient fréquentes, et même l’eau courante venait parfois à manquer. Il fallait faire avec.

Une mission chirurgicale est pluridisciplinaire. Qui compose l’équipe qui se rendra à Dakar ?

L’équipe comprendra la Pre Nicole Sekarski, cardiologue et responsable de la mission, le Dr Tornike Sologashvili, chirurgien cardio-vasculaire pédiatrique, deux médecins anesthésistes, la Dre Caroline Mury et moi-même, un médecin intensiviste, la Dre Vivianne Amiet ; un cardio technicien (le spécialiste de la machine cœur-poumon), Manuel Iafrate, et deux infirmières spécialisées en soins intensifs, Valérie Moity et Mélanie Casanova, employée de La Maison de Terre des hommes. Nicole Niederberger, responsable du programme soins spécialisés de Terre des hommes Lausanne, sera également présente lors de cette mission. Et bien sûr les équipes médicales locales apporteront leur contribution.

La mission chirurgicale aura lieu à Dakar, Sénégal
La mission chirurgicale aura lieu à Dakar, Sénégal

Une infirmière de La Maison de Terre des hommes, Mélanie Casanova, prendra part à cette mission. Pourquoi ce choix ?

La crise sanitaire liée au Covid-19 a également des conséquences sur l’organisation de la mission de juin 2021. Pendant la pandémie, une partie du personnel des soins intensifs de pédiatrie du CHUV a dû rejoindre les services pour adultes ; même constat pour les infirmiers et les médecins anesthésistes. La situation se stabilisant, les services sont aujourd’hui en passe de récupérer ce personnel. Néanmoins, ils doivent maintenant se concentrer sur d’autres tâches, comme, par exemple, l’accompagnement des personnes en formation, sans parler de l’épuisement de chacun, des jours de repos qui n’ont pu être pris, des heures supplémentaires qui ont étés engendrées… Les équipes restent donc fragiles. La sécurité des patients suisses est bien sûr prioritaire ; les missions ne se font pas si elles risquent de compromettre la qualité des soins en Suisse. Pour juin 2021, la situation aux soins intensifs de pédiatrie ne permettra, contrairement à l’habitude, de libérer qu’une seule infirmière pour notre mission. Il nous manquait donc une infirmière intensiviste pour compléter l’équipe. Nos regards se sont tournés vers Mélanie Casanova, infirmière à La Maison de Terre des hommes, diplômée en soins intensifs et ancienne collègue et collaboratrice du CHUV. La direction de La Maison a été immédiatement partante et Mélanie a accepté de rejoindre l’équipe. Ça a été un grand soulagement.  

Ndlr: En raison de mesures sanitaires, la mission prévue en juin 2021 est reportée à l’automne 2021.

Comment se passe le travail avec les équipes locales ?

Depuis le temps, nous nous connaissons bien. Nous sommes les bienvenus, et contents de les retrouver à chaque fois. La collaboration est, dans tous les cas, très étroite. En pratique, le Dr Sologashvili est systématiquement assisté par les chirurgiens locaux, les anesthésistes-réanimateurs de l’hôpital participent très activement à la prise en charge des patients, notre cardio-technicien se répartit les tâches avec ses collègues sénégalais… Il y a même des secteurs qui sont entièrement gérés par le personnel local, par exemple les examens de laboratoire et la stérilisation des instruments chirurgicaux.

Quel est le programme d’une semaine-type de mission ?

Notre but est d’optimaliser ces missions et de limiter leur impact sur notre travail ici. Notre semaine de travail en Suisse se termine le vendredi soir. Nous voyageons le samedi ; le dimanche nous nous rendons à l’hôpital pour mettre en place notre matériel, nous plonger dans les dossiers des enfants et déjà rencontrer ceux qui seront opérés dans les premiers jours de la semaine. Bien que le dimanche soit jour de repos également au Sénégal, nos collègues sur place sont conscients de l’importance de cette première journée consacrée à l’organisation. Ils nous rejoignent à l’hôpital, même s’ils ne sont pas de service ce jour-là. Les interventions chirurgicales ont lieu du lundi au vendredi. Parallèlement à l’activité opératoire, la Professeure Sekarski, spécialiste internationalement reconnue, réalisera des dizaines de consultations, soit pour poser un diagnostic, soit pour s’assurer de la bonne évolution après une correction chirurgicale. Du reste, nombre d’enfants déjà opérés l’avaient été en Suisse, et avaient donc séjourné à Massongex. Le samedi matin a lieu la dernière visite aux enfants soignés durant la semaine, ainsi que la réunion de « debriefing » avec les équipes locales. Le soir nous reprenons l’avion, pour arriver en Suisse le dimanche. Et le lundi, nous sommes de retour à nos postes respectifs… C’est donc une semaine très intense. La mission de juin 2021 est garantie sous réserve que la situation sanitaire le permette. Il est prévu d’opérer six enfants au moins. Comme mentionné déjà, l’équipe médicale, mais également nos infirmiers et notre cardio-technicien, profiteront également de donner conseils et formation, une contribution à l’expertise des spécialistes locaux.

Lors des premières missions, plusieurs équipements n’étaient plus en état de fonctionner. Les coupures d’électricité étaient fréquentes, et même l’eau courante venait parfois à manquer. Il fallait faire avec.

Dr Mirko Dolci

La logistique d’une telle mission doit être complexe. Comment s’organise-t-elle ?

La logistique occupe une place fondamentale dans l’organisation d’une mission ; seule une bonne préparation permet d’être pleinement fonctionnels dès notre arrivée sur place. Tout le matériel est préparé au CHUV. Plusieurs infirmiers, aides, responsables du matériel, travaillant principalement aux soins intensifs pédiatriques et au bloc opératoire, nous aident pour cela, de manière volontaire, souvent en prolongeant leur journée de travail. Ces personnes méritent toute notre reconnaissance. Leur contribution est essentielle, mais ingrate aussi, car eux n’ont pas la satisfaction de partir pour la mission. Les palettes de matériel sont affrétées par avion et partent pour le Sénégal dans le courant du mois de mai.

Les missions ne se font pas si elles risquent de compromettre la qualité des soins en Suisse.

Dr mirko dolci

Comment cette mission est-elle financée ?

Multiples sont les sources de financement, qu’il s’agisse de financement direct, ou de la mise à disposition de personnes ou d’infrastructure. Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) contribue en fournissant la majorité du personnel, et également en prenant en charge une partie des frais, notamment pour l’achat des billets d’avion et de la prophylaxie anti-malarique (recommandée pour les personnes se rendant pour de courtes périodes au Sénégal). Il consent à ce que les médicaments et le matériel nécessaires soient fournis, à des prix préférentiels, par sa pharmacie et son magasin central. Le Dr Sologashvili est le chirurgien cardiaque pédiatrique des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) ; sa participation à cette mission « CHUV-Terre des hommes » se justifie pleinement par la collaboration que nous entretenons avec lui dans le cadre du « Centre romand de cardiologie et de chirurgie cardiaque pédiatrique », dont le responsable pour l’activité chirurgicale n’est autre que le Professeur René Prêtre. Les HUG participent donc aussi, en libérant le Dr Sologashvili, mais aussi avec un financement exceptionnel pour cette mission de juin 2021, par le biais d’un fond spécial affecté à ce type de projets humanitaires. Terre des hommes Lausanne s’occupe de l’organisation des transports (personnes et matériels) depuis la Suisse, du logement, ainsi que du recrutement, du transport et des examens pré- et postopératoires des patients. La Maison de Terre des hommes, nous en avons parlé, met cette année une infirmière à disposition. « Last, but not least », il faut rendre hommage au Professeur René Prêtre, qui finance très largement ces missions au Sénégal depuis leur création, via sa propre fondation, Le Petit Cœur. De plus, une pensée particulière va à tous nos collègues restant en Suisse, qui, durant notre absence, doivent absorber une charge de travail supplémentaire.