Un retour à La Maison inattendu! - Maison de Terre des hommes

Un retour à La Maison inattendu!

écrit le 19.09.2022

Mamadou ne s’attendait pas à un retour en urgence en Suisse. 20 ans après son premier séjour à La Maison, ses souvenirs sont encore bien présents. «Ce nouveau transfert est très différent du premier. La peur de l’opération est plus importante. L’intégration différente» nous confie-t-il.

Entretien Eline Maager

Éclairage sur la particularité du retour d’anciens patients

Mamadou

Mamadou, pensionnaire

Pensant être quitte avec une cardiopathie soignée 20 ans plus tôt, un contrôle de routine chez son cardiologue replonge Mamadou dans l’angoisse : son cœur est en très mauvais état et doit être à nouveau opéré. Faute d’infrastructures et de personnel qualifié, le secteur médical public sénégalais est incapable de lui apporter la solution d’urgence nécessaire. Sa vie ne tenant qu’à un fil, un nouveau transfert sanitaire vers l’Europe est indispensable. Il laisse donc famille et travail derrière lui pour rejoindre la Suisse en urgence. Mais ses préoccupations sont bien plus pesantes qu’en 2002, lorsqu’il franchissait à 11 ans les portes de La Maison. Nous nous sommes assis avec notre pensionnaire, un homme plutôt discret mais toujours bienveillant, qui a bénéficié cet été d’une deuxième opération médicale en Suisse.

J’aimerais pouvoir aider les nécessiteux, faire à mon tour quelque chose de bien pour les autres

Mamadou
Mamadou et la petite Ramatoulie échangent un regard complice.

Ton premier séjour remonte au début des années 2000 alors que tu n’avais que 11 ans. Quels souvenirs gardes-tu de ce premier transfert du Sénégal vers la Suisse?

Je me souviens qu’avant mon premier séjour en Suisse, j’étais fréquemment à l’hôpital. J’ai en effet dû faire de nombreux examens pour poser un diagnostic plus précis sur ma maladie. C’est un médecin local qui a présenté mon dossier à une organisation active dans mon pays pour un transfert vers la Suisse. À l’époque, c’était mon papa qui avait géré, avec l’équipe sur place à Dakar, le côté administratif de ma venue en Suisse. Des collaborateurs de l’organisation étaient venus chez nous, voir comment nous vivions. Cela faisait partie de l’enquête sociale menée avant ce premier transfert.

Quels souvenirs as-tu de La Maison et de ton premier séjour en 2002 ?

Je me rappelle de la maison principale. Elle n’a pas trop changé. Je remarque que de nouveaux bâtiments ont fait surface, il y a une nouvelle école par exemple. J’ai beaucoup de souvenirs des lieux. Je me rappelle d’un pensionnaire aussi; il s’appelait Aboubacar, un autre enfant du Sénégal. J’ai une photo de nous deux chez moi à Dakar. Nous ne sommes pas restés en contact, mais je me souviens très bien de lui.

En vingt ans, depuis ton premier transfert, que s’est-il passé dans ta vie ?

J’ai pu reprendre ma scolarité lorsque je suis rentré à Dakar. J’avais pris environ deux années de retard sur le cursus à cause de la maladie. J’ai réussi à rattraper ce retard. J’ai ensuite entrepris des études supérieures pour devenir ingénieur en génie civil. Aujourd’hui, je travaille à Dakar et, même depuis la Suisse, je continue à coordonner des chantiers au Sénégal.

Sans la santé, on ne peut rien faire. C’est ce qu’on a de plus cher.

Mamadou

On peut aisément imaginer que tes préoccupations actuelles sur ta maladie sont différentes de celles que tu avais étant enfant lors de ton premier transfert vers la Suisse. Peux-tu nous les expliquer?

Être enfant et quitter ses parents, c’est très difficile. Au début, je me souviens que je pensais beaucoup à eux. Quand on arrive à La Maison, on est plongé dans le quotidien de ce lieu de vie avec d’autres enfants. On arrive donc à oublier un peu qu’on est malade. Je dis bien «un peu», parce qu’il y a tout de même les rendez-vous médicaux, les amis qui s’en vont pour être opérés: la maladie reste très présente.

L’expérience est plus compliquée à vivre pour moi à cause de ma différence d’âge avec les autres pensionnaires. Aujourd’hui, je suis un peu moins intégré au groupe. Même si j’adore les enfants, je ne participe pas forcément aux activités de La Maison.

Je me rends compte aussi qu’on est moins conscient des enjeux de ce voyage quand on est jeune. En tant qu’adulte, je suis bien plus préoccupé par mon opération et les conséquences de ce nouveau transfert.

Je ne m’attendais pas à devoir revenir en Suisse. En réalité, j’avais une dent qui me faisait très mal. Mon dentiste m’a demandé de consulter un cardiologue avant de la retirer, pour être certain que cela ne pose pas de problème. Je suis allé confiant chez le cardiologue, je me portais bien… du moins j’en avais l’impression. Je faisais du sport, je n’avais plus les problèmes d’essoufflement et de fatigue de mon enfance. Le cardiologue m’a fait faire plusieurs examens révélant que mon cœur était en très mauvais état et que je devais être opéré au plus vite. On m’a dès lors interdit de faire du sport et j’ai repris contact avec le bureau de Tdh à Dakar en vue d’un nouveau transfert vers la Suisse.

J’avais très peur de cette nouvelle opération, parce que j’étais conscient des risques. Même si la médecine d’aujourd’hui est très avancée, je sais que tout peut arriver. Je pensais à ma famille, dont j’ai la charge et qui dépend de moi. Les enjeux étaient donc très différents cette fois-ci. Heureusement, l’opération s’est très bien passée.

Tu parles de ta différence d’âge avec les pensionnaires plus jeunes. Concrètement, comment se passe ton intégration à La Maison ?

Tout se passe bien. J’adore les enfants, donc je suis très content de cohabiter avec eux. Les règles de La Maison sont les mêmes pour tous, et il est vrai que c’est parfois un peu compliqué de les accepter lorsqu’on est un adulte et qu’on a l’habitude de vivre de façon indépendante. Mais au final, on est ici pour se soigner et vivre au sein de cette Maison qui nous permet de retrouver le chemin de la vie. Il y a une vie collective, comme celle d’une famille. J’essaie de me rendre utile, je donne un coup de main en cuisine le matin. Ça me fait du bien de pouvoir échanger avec des gens qui travaillent ici et partager un moment simple avec eux. Ça me permet aussi d’oublier un peu le mal du pays.

Mamadou et Ibrahima, tous deux sénégalais, disputent une partie d’échecs sur la terrasse de La Maison

En quoi les opérations que tu as subies ont-elles changé ta façon de percevoir la vie ?

Je sais que je dois prendre soin de ma santé. Je perçois la vie différemment parce que j’ai conscience qu’elle est très fragile. Sans la santé, on ne peut rien faire. C’est ce qu’on a de plus cher.

Comment perçois-tu le système de santé dans ton pays ?

Les différences sont très importantes entre les hôpitaux ici en Suisse et ceux qui existent au Sénégal. Qu’il s’agisse du personnel, du plateau technique, des équipements; les différences sont majeures. Au Sénégal, il est très compliqué d’avoir accès à des soins de qualité. Il y a très peu de spécialistes. On s’oriente vers un médecin généraliste lorsqu’on en a les moyens, mais en cas de problèmes de santé graves, il est très difficile d’avoir un diagnostic fiable et un traitement adéquat. Tout le monde devrait pouvoir avoir accès à des soins de qualité, mais le constat est que le chemin est encore long pour y parvenir.

Y-a-t-il un message que tu aimerais faire passer aux lecteurs de ce journal?

Merci à tous. Merci au personnel qui est extrêmement compréhensif, très bienveillant et compétent. J’ai passé d’agréables moments avec les convoyeurs bénévoles qui donnent de leur temps pour nous. Je me dis que j’aimerais, à mon tour, faire quelque chose pour les autres. Comme ces bénévoles et ces personnes qui soutiennent La Maison, et qui nous permettent d’avoir une nouvelle vie.

Et un message pour les enfants qui viennent ici?

Comme je suis croyant, je prie pour eux. Je sais ce qu’ils ressentent, que leur famille leur manque et je leur souhaite que tout se passe bien pour qu’ils retrouvent le sourire. Je leur dis d’avoir du courage. Ils sont très bien entourés et on s’occupe très bien d’eux.

Alioune N’Gom

Alioune N’Gom, co-responsable du secteur éducatif

Comment se passent les retours de ces bénéficiaires ?

En général, leur intégration dans la vie de La Maison est plus facile. Souvent, c’est parce qu’ils se souviennent encore des règles de vie ici. On est un peu comme une grande famille, et les activités des enfants rythment les journées. Cette structure, les enfants qui reviennent la connaissent déjà et ils n’ont pas besoin d’un temps d’adaptation comme lors de leur premier séjour. En plus, ils aident très souvent les autres, ils traduisent et parlent de leur expérience pour rassurer les autres enfants. Ils endossent un peu ce rôle de «grande-sœur» ou «grand-frère» auprès des plus jeunes.

Mamadou et Alioune, co-responsable du secteur éducatif de La Maison.

Quels souvenirs gardent-ils de leur premier passage à Massongex?

Certains se souviennent de beaucoup de choses, des bâtiments, de jeux, même parfois de nous, le personnel. On est heureux de retrouver des visages qui nous sont familiers, même si on espérait qu’ils n’aient pas besoin de revenir. Un adolescent, Ibrahima, séjourne en ce moment à La Maison. Il était venu en 2014 et je l’avais beaucoup aidé dans sa remise à niveau scolaire. Lorsqu’il est arrivé il y a quelques semaines, il était très souriant et ça m’a fait plaisir de le revoir. Sa deuxième opération s’est bien passée, j’espère qu’il pourra bientôt rentrer chez lui au Sénégal et qu’il n’aura plus besoin de revenir.

Leurs appréhensions par rapport à l’opération sont-elles différentes de la première fois ?

 Oui, ils ont bien plus peur de l’opération. Ils savent à quoi s’attendre et leur stress est palpable. Nous devons beaucoup parler avec eux, les rassurer. Ils s’interrogent beaucoup plus que les petits sur les risques de l’opération.

On est heureux de retrouver des visages qui nous sont familiers, même si on espérait ne plus avoir à les revoir après leur premier séjour.

Alioune N’Gom

Y a-t-il des défis ou enjeux différents pour ces enfants au niveau de leur accueil?

Nous avons mis en place un système de «référent» pour ces adolescents et adultes. C’est-à-dire qu’au sein de l’équipe éducative, une personne est en charge d’accompagner et d’échanger avec eux en dehors du groupe. Il arrive qu’ils se sentent parfois seuls ou qu’ils aient davantage de craintes par rapport à leur opération. Nous les accompagnons et nous rendons disponibles pour eux.