Fondation Théodora: 15 ans de collaboration avec Terre des hommes Valais
écrit le 11.07.2023Au-delà du simple divertissement, un réconfort pour les enfants malades
La Fondation Théodora a pour mission d’offrir des moments d’évasion aux enfants malades en organisant des visites de clowns d’hôpital connus sous le nom docteurs Rêves, tous artistes professionnels, dans les établissements médicaux suisses. En 2023, la Fondation Théodora marque ses 15 années de collaboration avec La Maison. Cette date coïncide avec les 60 ans de la Fondation Terre des hommes Valais et les 30 ans de la Fondation Théodora. Pour célébrer tout cela, une fête d’anniversaire a été organisée à Massongex. Au programme : un spectacle pour les enfants et des gâteaux. Également connu sou le nom Docteur Sivouplè, Thierry Jacquier, membre de la Fondation Théodora, a accepté de répondre à quelques questions.
Thierry, quel est votre rôle au sein de la Fondation Théodora ?
Chez Théodora, j’ai une part artistique en tant que docteur Rêves, et une part de développement des activités de la fondation et de soutien de la qualité.
On s’aperçoit qu’il commence à y avoir un savoir-faire qui s’est construit dans notre activité, et un impact qu’on ne soupçonnerait pas a priori. Car notre présence amène un lâcher-prise de l’enfant. En institution, certains professionnels nous disent que ce lâcher-prise développe des choses bénéfiques. Tout ce savoir-faire, il faut le rassembler et essayer de mettre en place une formation et des critères de base qui légifèrent cette activité. Un groupe de travail et de réflexion pour aller dans cette direction a ainsi été créé. On a un impact, donc on a une responsabilité. On ne se rend pas compte de ce qu’il reste après notre passage chez un enfant et dans sa famille.
Quand on est dans une chambre d’hôpital, ce n’est pas un spectacle.
Thierry Jacquier, Docteur Sivouplè
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à l’art clownesque et à travailler comme clown d’hôpital ?
Je viens du théâtre dit classique. J’ai fait le conservatoire, j’ai été comédien et, encore aujourd’hui, à côté de Théodora, je fais des mises en scène. Chez Théodora, les artistes doivent en effet essayer de garder une activité extérieure pour continuer à grandir au niveau artistique.
Un jour, j’ai dû faire une mise en scène avec des arts vivants : musique, jonglage, magie, french cancan, etc. J’ai alors pris conscience que j’en avais marre du théâtre classique, que j’avais besoin de donner de la fraîcheur plutôt que du sens. Que les gens prennent une bouffée d’émotions, sans avoir besoin de réfléchir. Je me suis donc mis à l’art de rue. Puis, par hasard, je tombe sur une émission avec le premier clown d’hôpital aux USA, Michael Christensen. Ça a tout de suite été évident que c’est ce que je voulais faire.
En hôpital, le théâtre s’invite dans la réalité. Quand on est dans une chambre d’hôpital, ce n’est pas un spectacle. Vous êtes dans le quotidien d’une institution, presque en visite. Vous allez proposer quelque chose d’artistiquement technique, peut-être du jonglage, peut-être un morceau de musique, mais avant tout ça, vous allez être dans une relation avec l’enfant. Puis vous jouez avec la réalité de l’hôpital, avec ce que vous avez sous la main.
J’ai téléphoné à l’hôpital de Fribourg. Ils m’ont dit qu’une Fondation existait : c’étaient les débuts de la Fondation Théodora. J’ai ainsi été dans la première volée qui a reçu une petite formation d’une semaine et demi.
J’ai alors développé l’art clownesque, notamment en suivant beaucoup de cours. L’acteur de théâtre passe par la psychologie d’un personnage, par le texte, par une interaction, ce qui est plus propre à une scène. Par contre, le clown n’a rien, il part avec lui-même, il est ouvert vers l’extérieur. Il y a des techniques à mettre en place, pour partir de quasi rien et proposer une nouvelle dimension au public. Un Coluche, un Chaplin, à la base, ont des techniques de clown. Je dirais que le plus important, c’est de prendre du plaisir en tant que clown, de s’éclater. Sinon, ça ne fonctionne pas. Je me demande d’ailleurs parfois si j’y vais plus pour moi ou pour les enfants.
L’humour, ce n’est pas éviter les réalités difficiles. C’est aller en plein dedans.
Thierry Jacquier, Docteur Sivouplè
Quel est l’intérêt de l’humour et de l’imaginaire pour un enfant malade ?
Je pense que l’humour et l’imagination sont les seuls outils que la psyché a pour accepter l’inacceptable. Quoiqu’on vive, à un moment donné on va s’évader, on va transformer ce qu’on est en train de vivre. Pour l’enfant, on va être dans le vrai imaginaire, dans un monde de fiction, dans un monde de personnages. Donc là, très vite, il va se retirer de sa réalité, et sa situation sera plus supportable. Cependant, je ne pense pas que le fait de rire est indispensable à la guérison.
En tant que docteur Rêves, on peut aller chercher l’enfant dans son émotion. Il peut rire nerveusement, ce qui peut faire du bien. Comme ça peut faire du bien de pleurer. Les rires et les pleurs sont là pour évacuer l’émotion, l’humour et l’imaginaire sont là pour supporter l’insupportable.
Mais l’artiste ne peut le faire que s’il parvient à créer le lien avec l’enfant. Quand on ouvre la porte d’une chambre, les trois premières minutes on les passe à créer le lien. On fait connaissance, on demande comment ça se passe. On écoute, et on montre qu’on écoute. Vous allez à la rencontre de l’enfant. C’est une fois qu’on a acquis la confiance que l’on peut commencer à déclencher l’humour et à emmener l’enfant dans son imaginaire.
Quand on est dans le lien, l’humour est fort et il touche le moment, la réalité. On ne cherche pas à détourner l’attention en racontant un witz ou en jonglant. L’humour, ce n’est pas éviter les réalités difficiles. C’est aller en plein dedans. Et je crois que c’est là qu’on touche le respect de la personne. Et si on y parvient, on peut commencer à rire ensemble, d’une situation, de l’enfant, de soi-même.
Quelle est la particularité de l’interaction entre les clowns d’hôpital et les enfants de La Maison, par rapport à celle avec les enfants d’ici ?
Ce qui est intéressant, c’est qu’on se rencontre à l’hôpital et à La Maison. On se revoit, et ça crée une vraie confiance. On vient chaque 15 jours à Massongex, puis ils nous revoient à l’hôpital. Tout à coup, il y a un encrage. Tout à coup, nos personnages deviennent rassurants. On sent que ça leur fait un bien fou.
Il y a un accueil qui est frais, qui est direct, sans filtre. Il y a peut-être d’autres codes, culturels, ils se lâchent beaucoup plus. Ils sont beaucoup plus dans l’interaction qu’un enfant de chez nous. Ils nous challengent, ils nous posent des questions. « Elle est où ta maman ? », je n’ai jamais eu cette question avec un enfant d’ici. On doit rester dans un personnage imaginaire, mais il y a cette relation beaucoup plus d’humain à humain. Pour nous c’est intéressant parce que ça nous confronte directement à nous-mêmes. Qui je suis en tant qu’humain, et qui je suis en tant que personnage. Et c’est à nous de jouer avec cette frontière. Je dois avoir mon univers de personnage, sa personnalité, mais pour tisser un lien, ça ne fonctionne pas si l’humain est complètement effacé par le personnage.
Plus j’avance, plus je prends conscience que notre présence va au-delà du simple divertissement. Il y a autre chose qui se passe. On va chercher les gens dans leur humanité. Quand on se donne cette possibilité de vivre cette humanité, le délire, l’imaginaire et l’humour arrivent. Je le dis en formation, « il faut faire les cons ». Les enfants doivent rester des enfants. Et un enfant, ça fait des conneries, ça rit, ça crée un imaginaire. Il y a plein de chose dans notre humanité qui nous permettent de supporter la douleur. Il est important de se reconnecter avec son humanité, avec qui on est. Que les enfants malades se souviennent qu’ils sont avant tout des enfants.