Zohra Egger : Un Pont entre Deux Mondes - Maison de Terre des hommes

Zohra Egger : Un Pont entre Deux Mondes

écrit le 04.07.2023

De l’Algérie à la Suisse, une vie d’engagement humanitaire

Zohra Egger est une des premiers enfants transférés en Suisse par le fondateur du mouvement Terre des hommes, Edmond Kaiser. Algérienne d’origine, elle a depuis fait sa vie en Suisse, s’est mariée et est devenue grand-mère de six petits-enfants. Mais elle n’a pas coupé les liens avec ses racines, puisqu’elle a fondé sa propre association humanitaire, l’Association Avenir, qui a pour but principal d’offrir des soins médicaux à des personnes qui n’en ont pas les moyens en Algérie. Zohra était en visite à La Maison le temps d’un repas, et a accepté de répondre à nos questions.

Zohra, est-ce que vous pouvez nous raconter le parcours qui vous a amenée en Suisse ?

Je suis née en 1951 en Algérie. Pendant la guerre franco-algérienne, j’ai perdu mon papa. On vivait un peu dans la misère. J’étais malade, mal nourrie. A cette époque, Edmond Kaiser était en Algérie pour venir en aide à des enfants dans le besoin. Je traînais alors dans un hôpital, où on suspectait que j’étais atteinte d’une tuberculose, mais c’était en fait de la malnutrition. Je suis tombée, par hasard, dans un groupe qu’il ramenait en Suisse et y suis arrivée le 28 février 1963.

Zohra Egger à La Maison à l’occasion d’un événement

Est-ce que ce voyage a été difficile ?

C’était dur vis-à-vis de ma famille. Nous étions sept enfants, très proches de notre mère. Avant de partir, je ne me rendais pas compte que la Suisse était aussi loin. J’ai dû prendre l’avion, à une époque où c’était moins normalisé qu’aujourd’hui. Mais j’ai bien vécu le dépaysement. Je me souviens comme si c’était hier de mon arrivée à Lausanne. Je n’avais jamais vu de neige, et on m’a placée dans la vallée de Joux, où il y avait un mètre cinquante de neige. C’était assez extraordinaire.

J’ai été accueillie et protégée par une demoiselle pendant six mois. C’est pendant cette période que j’ai compris qu’il fallait que je puisse continuer l’école. Mais j’ai dû rentrer en Algérie. J’ai alors fait des pieds et des mains, et même triché, pour pouvoir revenir en Suisse et apprendre un métier. L’Algérie me manquait, ma famille me manquait. Je ne parlais pas la langue, c’était assez pénible, mais je l’ai fait. Je suis retournée chez cette demoiselle, j’ai terminé l’école, je suis partie en suisse-allemande pour apprendre l’allemand, je suis partie à Fribourg pour faire l’école d’infirmière assistante. Puis j’ai fait l’école d’instrumentiste au bloc opératoire. C’est autour du bloc que j’ai rencontré mon mari. Nous avons 4 enfants et suis devenue grand-maman de 7 petits-enfants.

Je suis très contente de mon parcours. Il a été semé d’embûches, mais on n’a rien sans rien.

Zohra Egger

J’imagine que ce parcours de vie a grandement influencé votre décision de monter votre propre association.

Oui, on essaie de faire du bien. Moi j’ai reçu, je ne peux pas tout garder pour moi.

Mon parcours m’a beaucoup aidée. Être instrumentiste m’a permis de discuter avec des médecins, qui ont adhéré à mon idée d’aller opérer des gens démunis en Algérie. Ce qui me tenait surtout à cœur, c’était de pouvoir former des gens sur place. On l’a fait, et ça a été très bénéfique. On a formé des infirmières du bloc opératoire, des infirmières anesthésistes ainsi que des médecins gynécologues.

Je suis très fière de ce projet, qui a d’ailleurs 20 ans cette année. Nous ne sommes pas subventionnés. Les membres nous soutiennent par cotisation et un souper de soutien annuel.

Je suis très contente de mon parcours. Il a été semé d’embûches, mais on n’a rien sans rien. Je suis reconnaissante à ce pays qui m’a accueillie. Ici, je suis bien. Quoique l’on dise, ici, il y a beaucoup de générosité et de tolérance.

Le premier séjour de Zohra en Suisse (au milieu)

Est-ce que vous gardez un lien avec les personnes que vous avez pu aider ?

Je suis marraine d’un orphelinat en Algérie depuis 2003. Je faisais venir les enfants en Suisse pour des séjours de 10 jours. Ils ne sont plus revenus depuis 2016, à cause de problèmes au niveau administratif. Mais chaque fois que je vais en Algérie je vais leur rendre visite. Ils sont devenus adultes, mais je garde le contact. Un d’entre eux va partir étudier en Espagne, et je lui ai dit que mon association pouvait l’aider. Je garde contact avec ces orphelins parce qu’ils ont à peu près le même parcours que moi.

Vous me mettez ce petit avec les enfants que je ramène en Suisse 

Edmond kaiser, Fondateur du mouvement Terre des hommes, Algérie, 1963

Vous avez une histoire particulière avec Edmond Kaiser, le fondateur du mouvement Terre des hommes.

Dans mon malheur, j’ai eu la chance de le rencontrer. Comme je l’ai dit, je traînais dans cet hôpital en Algérie. J’en ai encore un souvenir clair. C’était un hôpital avec beaucoup de chats. Nous les enfants, étions au milieu des malades étendus par terre. Moi, je m’y plaisais parce qu’il y avait à manger. Je courais dans cet hôpital, et je vois cet homme qui était blanc, propre sur lui, portant une écharpe rouge. Je suis venue m’accrocher à lui. Il a alors dit : « Vous me mettez ce petit avec les enfants que je ramène en Suisse ». Il m’a prise pour un garçon parce que j’avais les cheveux rasés. Et voilà. C’est quand même assez joli comme hasard.

Est-ce que vous avez des conseils pour les personnes qui voudraient aider à leur tour ? 

Je trouve qu’il faut, dans ce monde qui va tellement vite, qui devient tellement matériel, un regard pour l’autre, un peu de chaleur humaine, un peu de compréhension, un peu de tendresse. Et puis, quand on donne, on reçoit. On reçoit le regard de l’autre, le sourire d’un enfant. Ça a beaucoup de valeur.