Grandir avec le noma et apprendre à s’aimer
écrit le 20.01.2021Laurence, c’est un rire, que l’on entend au loin d’abord, qui résonne et qui vous met la banane. C’est ensuite une silhouette d’une posture droite et fière que l’on aperçoit. C’est une jeune femme coquette qui s’aime et qui, bien qu’extrêmement timide, a tant à nous dire et à nous apprendre.
Laurence a 31 ans et est juriste de formation au Burkina Faso. Elle est arrivée à nos côtés à Massongex en automne 2019 pour un quatrième séjour en Suisse.
Le début de la maladie
Née en 1989 en Côte d’Ivoire et benjamine de quatre enfants, sa famille s’installe au Burkina Faso peu après sa naissance. A l’âge de 2 ans à peine, Laurence contracte le noma. En quelques jours son destin bascule. De petites plaies dans la bouche d’abord, puis un œdème, une nécrose de sa joue, et la maladie s’est installée. Les parents de Laurence, qui n’avaient encore jamais connu de cas de noma, sont désemparés. Ils tentent de sauver leur enfant en faisant appel à la médecine traditionnelle, mais la maladie continue de se développer. La maman de Laurence décide ensuite de l’amener à l’hôpital, « il était presque « trop » tard », nous dira Laurence. Le traitement antibiotique permettant de stopper la progression de la maladie est administré à l’enfant, mais les dégâts sont conséquents : les deux tiers de son joli visage sont ravagés.
Quatrième séjour en Suisse
Après une hospitalisation de plusieurs mois, Sentinelles, organisation active dans le pays depuis 1980, transfère Laurence en Suisse pour y subir une intervention de chirurgie esthétique reconstructive. Sa première opération du visage, Laurence l’a subie à deux ans et demi à peine. Quelques années plus tard, Laurence revient en Suisse pour améliorer son ouverture buccale. Trop jeune à l’époque pour une intervention visant à construire un nez sur son visage, elle séjourne à nouveau en Suisse pour la troisième fois à l’âge de 13 ans afin de subir cette opération. Aujourd’hui, nous avons retrouvé Laurence, ici à La Maison, lors de son quatrième séjour. Cette jeune femme d’une bravoure et d’une humilité incroyables s’est livrée à nous ; son histoire, sa vie conditionnée par le noma et les séquelles qu’il a laissées sur son visage depuis sa plus tendre enfance, son regard sur cette maladie, sur la société, son message pour les victimes du noma.
Témoignage de Laurence
C’est ton quatrième séjour en Suisse pour subir des interventions de chirurgie esthétique réparatrices. Comment est-ce que tu vis ces opérations ?
J’ai toujours beaucoup d’appréhension parce que je connais les douleurs de l’opération mais je m’y prépare psychologiquement le mieux possible. Je pense que quand on est enfant, la douleur est très différente de celle que l’on vit en tant qu’adulte. Pour ce quatrième séjour, tout était tellement rétracté au niveau de ma mâchoire. Je ne saurais comment l’expliquer. Même pour boire de l’eau, j’en mettais partout. Je n’avais presque plus d’ouverture buccale. Je n’avais pas peur de l’opération en elle-même, mais plutôt du résultat parce que je savais que ce que j’avais était compliqué et c’était plutôt mal engagé. Au réveil, après l’opération, on m’a dit que ça s’était très bien passé, c’était une véritable surprise pour moi. J’ai mis mes doigts dans ma bouche pour voir si c’était vrai, je n’y croyais pas. J’ai dit « ça, c’est un miracle ». La convalescence a été très difficile mais grâce au soutien du Docteur Pugin et de son équipe, elle a pu se dérouler dans les meilleures conditions. L’équipe ORL du Docteur Monnier y a également contribué. Tu sais, la maladie a dévoré mon visage, j’aurais pu mourir. Mais après chaque intervention, il y a une amélioration ; c’est vraiment une nouvelle vie à chaque fois. Je pense qu’il est important, en tant que patient, d’avoir un rôle actif par rapport à l’opération. La doctoresse retrace les traits, corrige au mieux les dégâts causés par la maladie. Mais ce n’est pas le fait de passer par l’opération qui va te rendre comme tu veux. Tu dois participer à cela, être actif et conscient de ce qui t’arrive pour te l’approprier.
Au niveau de ta prise en charge, comment est-ce que ça s’est passé ?
La doctoresse m’a comblé au-delà de mes attentes, je n’ai pas assez de mots pour la remercier. Je suis reconnaissante pour tout ce que Denis Montandon, Brigitte Pittet-Cuénod et l’infirmière Anne-Marie ont fait pour moi ; pour toute l’affection, le temps, le soutien qu’ils ont bien voulu me consacrer. A La Maison, après l’intervention, tout s’est également très bien passé. Mes chers infirmier et infirmières ont beaucoup fait pour moi ; merci à tous, les éducatrices, les éducateurs, et tout le personnel, parce que tout le monde a fait de son mieux pour que je me rétablisse, surtout sur le plan moral. C’est grâce à Sentinelles que j’ai pu venir en Suisse, donc j’aimerais également remercier cette organisation qui vient au secours des victimes du noma. En réalité, je dis merci à tous ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre pour que je sois confortable, que je sois bien intégrée, forte moralement, physiquement. Je remercie vraiment tout le monde.
Comment as-tu vécu la maladie ? Et comment la vis-tu aujourd’hui ?
J’aimerais tout d’abord dire qu’être victime du noma, c’est très compliqué. Il faut être fort psychologiquement, moralement pour supporter, accepter et surmonter. La victime elle-même doit s’accepter avant que les autres l’acceptent. Socialement, que l’on m’aborde ou pas, je n’en veux à personne parce que je me dis que « Laurence » avant le noma ou sans le noma, est-ce qu’elle ferait la même chose? Est-ce qu’elle serait humaine? Donc, je ne juge pas l’autre. Pour ma part, mon intégration sociale n’a pas vraiment été problématique. Ma famille m’a accepté, m’a porté. J’ai toujours été entourée. J’ai des amis. C’est plutôt moi qui me méfie des autres. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai zéro complexe car je ressens mon handicap face à mon alimentation, à ma respiration et à la communication. Ce sont ces trois choses qui sont un réel handicap pour moi parce qu’elles touchent à ce qui est fonctionnel plutôt qu’esthétique. A part cela, je me sens comme les autres. Je suis coquette, je prends beaucoup de plaisir à m’habiller et prendre soin de moi. Souvent, je me dis qu’heureusement que c’est le visage. Si c’étaient mes membres, ça m’aurait fait tellement plus de mal, de devoir dépendre toujours des autres physiquement, c’est terrible. Moi, je vais où je veux, je fais ce que je veux de mes dix doigts. Et je ne suis pas touchée intellectuellement, ni psychologiquement. Je me dis parfois que je ne sais pas ce que je serais devenue si je n’avais pas eu le noma. Peut-être que ce serait pire ?
A La Maison, il y a 4 enfants aujourd’hui qui sont à nos côtés avec des séquelles du noma, ils ont à peu près le même âge que toi lors de ton deuxième séjour. Qu’est ce que tu aimerais leur dire?
Ne vivez pas dans le regret, ce qui est fait, est fait. Le handicap n’est pas une fatalité. Gardez le courage. Ayez confiance en vous et ne vous laissez pas abattre par le handicap. Il faut le vaincre ! Il faut s’aimer, s’accepter ! C’est à eux d’inciter les autres à les approcher. Physiquement, ce n’est pas parce que tu as un handicap que tu dois te laisser aller. Tu as tes 10 doigts, tes 4 membres au complet, fais le maximum. Moi, chaque jour si je le peux, je m’habille comme si c’était le dernier. Je m’offre des petits plaisirs chaque fois que j’en ai l’occasion. Je n’attends pas demain. Et c’est là que je trouve mon plaisir, je ne pourrais pas faire autrement. Je ne peux pas changer mon identité, mais avec mes vêtements, les accessoires, je peux faire de mon mieux. Je suis à l’aise. Je ne sais pas combien de temps prendra mon passage sur terre. Si je me recroquevillais sur moi-même et me renfermais, ce serait bien plus que la maladie, ce serait une souffrance, la misère. Il faut vivre. Et moi, j’aime la vie ! (rires)
Le noma reste encore une maladie trop peu connue, qu’aimerais-tu transmettre aujourd’hui aux lecteurs par rapport à cela? Par rapport au fait de vivre avec ce handicap?
Trop souvent, les victimes du noma sont rejetées par leurs familles et la société. Il faut comprendre que l’enfant n’a pas décidé de venir au monde. Il faut l’accepter, c’est un cadeau du Ciel. Si un enfant a un handicap, il faut l’accepter comme ça. Ce n’est pas son choix, il n’a rien demandé. Il n’a pas demandé à être malade, c’est son destin, et il faut prendre le destin en main. Il ne faut pas le rejeter. Le rejet, ça fait trop mal. Même pour les personnes saines et bien portantes, quand on vous rejette c’est comment? Ça n’est pas agréable. Et quand tu portes un handicap, le rejet, il faut le vivre pour comprendre le mal que cela fait. Si tu es rejeté par la société, tu deviens irrécupérable. Ta famille, avant les autres, doit prendre bien soin de toi. Quand tu es enfant, ta responsabilité incombe à tes parents. Ils doivent donner et surtout aimer ce que Dieu leur a donné avant que les autres t’adoptent et t’acceptent. Si eux-mêmes te rejettent, c’est compliqué. Je les invite vraiment à donner tout l’amour. Les enfants, les victimes du noma, ont besoin de beaucoup d’affection pour pouvoir surmonter cette maladie, ce handicap. Et il faut expliquer à la société que c’est une maladie comme toute autre. C’est vrai que ça laisse une marque, mais ça n’est pas contagieux. Les personnes ont les mêmes émotions que les autres, la même sensibilité. Elles ont besoin d’amour comme les autres, de soutien, physique, moral. Voilà. Mais je n’en veux pas à la société. Chaque personne a ses raisons. Il faut inviter les gens à sensibiliser sur cette maladie. C’est une maladie inconnue, ignorée par le monde.
Je veux être un modèle pour montrer à mes frères et sœurs, victimes du noma, que cette maladie n’est pas une fatalité.
Laurence
Ton avenir tu l’imagines comment ?
Je veux faire quelque chose qui aura un impact. Quand je rentre au Burkina Faso, je vais donner le meilleur de moi-même. J’aimerais que tout le monde soit fier de moi parce qu’ils m’ont donné la chance d’une nouvelle vie. Je veux être un modèle pour montrer à mes frères et sœurs, victimes du noma, que cette maladie n’est pas une fatalité. On peut bien réussir, comme les autres, des personnes saines, bien portantes ; nous, aussi, on est bien portants. Il y a des gens qui vivent dans des souffrances bien plus graves que les nôtres.